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Blocage des médias sociaux en Guinée, musellement de la presse, hausse des prix des denrées alimentaires, dialogue politique, le directeur du centre d’analyse et d’études stratégiques se prononce sur les grandes questions de l’heure en Guinée.
Dans une interview qu’il a accordée à la rédaction de Mosaiqueguinee.com, Aliou Barry, puisqu’il s’agit de lui alerte sur les embryons d’une dictature en construction en Guinée. Cet intellectuel guinéen évoque aussi la crise dans la sous-région et donne des pistes de solution pour la dissiper.
Aliou Barry répond aux questions de Hadja Kadé Barry.
Interview !
Aliou Barry bonjour ! L’accès à certains médias et réseaux sociaux reste toujours bloqué en Guinée. Le secrétaire général du syndicat des professionnels de la presse est en prison pour avoir dénoncé cette restriction. Dites-nous comment comprenez-vous cette situation ?
C’est une situation qui ne s’explique que par la seule volonté de la junte militaire de s’accrocher au pouvoir. Tous les actes posés par cette junte militaire prouvent à suffisance que nous ne sommes plus dans une transition mais dans une situation où ceux qui ont pris le pouvoir le 5 septembre 2021 y ont pris goût et ne veulent plus y partir. Cela ne fait aucun doute pour le commun des citoyens guinéens. Ces restrictions d’internet et de musellement de la presse sont des signes annonciateurs d’une dictature en gestation. L’arrestation du secrétaire général du Syndicat des professionnels de la presse est une vraie violation non seulement des droits de l’homme et une entrave à la liberté syndicale. C’est pourquoi je comprends l’irritation des responsables des médias et le mot d’ordre de grève lancé par le mouvement syndical.
Les crises s’accumulent parce que le pays est confronté à un problème de carburant depuis l’explosion du dépôt central d’hydrocarbures. Ensuite, les prix des denrées alimentaires ont été revus à la hausse. Selon vous pourquoi en sommes-nous arrivés-là?
En plus de l’atteinte aux libertés individuelles, nous assistons à une gestion médiocre de la chose publique au plus haut sommet de l’Etat. Et le plus désolant ce que certains ministres se comportent comme si nous ne sommes pas en période de transition en lançant des projets de réformes qui ne devraient être initiés que dans le cadre d’un gouvernement légitime. L’explosion du dépôt de stockage des hydrocarbures et la flambée des prix des denrées alimentaires que vous évoquez ne s’expliquent que par cette gestion médiocre et opaque de la chose publique.
Pendant ce temps, des leaders sont absents du pays, pas de dialogue politique donc. Plusieurs acteurs disent ne pas avoir une lisibilité sur la mise en œuvre du chronogramme de la transition, est-ce que vous êtes d’avis ?
Ce ne sont pas que les acteurs politiques qui n’ont pas une lisibilité sur le chronogramme de la transition. On n’a pas besoin de sortir d’une école d’analyse politique pour s’apercevoir que tout est mis en œuvre pour ne pas sortir de cette transition. La preuve la plus évidente c’est le fameux dialogue initié depuis le 5 septembre 2021. Un dialogue inclusif ne peut se faire sans les principaux partis politiques les plus importants du pays à savoir l’UFDG, l’UFR et le RPG.
Sur la question, le célèbre écrivain Tierno Monenembo a déjà lancé une alerte. Il estime que le Général Mamadi Doumbouya est en passe d’instaurer une dictature dans le pays, qu’en pensez-vous ?
Il a parfaitement raison car les dictatures naissent et perdurent souvent par le silence coupable des intellectuels. Mais il a oublié de souligner qu’il y a peu d’intellectuels dans ce pays. Nous avons à faire a beaucoup plus de diplômés que d’intellectuels car il y a une différence fondamentale entre un intellectuel et un diplômé. Un diplômé étudie pour avoir les diplômes et un intellectuel étudie pour cultiver son savoir. Un intellectuel est une personne dont l’activité repose sur l’exercice de l’esprit, qui s’engage dans la sphère publique pour faire part de ses analyses, de ses points de vue sur les sujets les plus variés ou pour défendre des valeurs, il n’assume généralement pas de responsabilité directe dans les affaires pratiques. Aujourd’hui en Guinée, Thierno Monenembo est un des rares intellectuels qui analyse et alerte sur la situation socio-politique du pays, en cela il est à féliciter. La majorité des Guinéens observent résignés à la naissance d’une dictature si semblable à celle que le pays a connu sous Sékou Touré n’en déplaisent aux PDGistes. Il suffit de circuler dans Conakry pour observer dans les carrefours et lieux publics les effigies et posters à la gloire du responsable suprême de la révolution. Et la restriction d’internet, la fermeture des médias sont les signes annonciateurs d’un régime autoritaire. Il faut aussi souligner que le faible niveau d’éducation qui prévaut en Guinée est le facteur facilitant l’ancrage de systèmes autoritaires. Et le peu d’intérêt que nos dirigeants politiques portent à notre système d’éducation, à voir les conséquences néfastes de leurs gestes sur celui-ci lorsqu’ils s’amusent d’une manière hasardeuse à le réformer, à tout niveler vers le bas afin d’augmenter artificiellement les taux de diplomation, c’est à se demander s’ils ne s’inspirent pas de Catherine II de Russie qui disait que « l’ignorance du peuple nous garantit de sa soumission ». C’est ce qui prévaut en Guinée de Sékou Toure à nos jours.
Des États Ouest-africains qui sont dans la même situation que la Guinée ont décidé de se retirer de la CEDEAO. Je veux parler de la transition. Il s’agit du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Qu’est-ce vous pensez de ce retrait et quelles seront les conséquences à votre avis?
L’annonce de ce retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (Cédéao) a suscité des regrets et inquiétudes de la part des dirigeants de la CEDEAO. Et ce retrait intervient aussi dans une période de tensions avec la France. De nombreuses questions se posent sur la portée, les avantages et les incidences de ce retrait. Le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la CEDEAO pourrait entraîner une concurrence encore plus forte entre grandes puissances dans cette région. Sur le plan international, nous assistons à l’évolution des alliances. Outre le rapprochement de ces pays avec la Russie, le Mali vient de dénoncer l’accord de paix d’Alger de 2015. Et le Maroc propose une ouverture de ces pays enclavés vers l’Atlantique comme alternative au Golfe de Guinée. Des acteurs comme l’Iran, le Qatar, la Turquie sont également présents. Outre le risque de dislocation de la CEDEAO, on peut assister à l’ouverture de la sous-région à de multiples acteurs internationaux qui risquent de compliquer une stabilité sous-régionale déjà très fragile.
Que faire en Guinée pour dissiper cette crise et aller vers l’organisation rapide d’élections crédibles et transparentes ?
Une seule issue s’offre aujourd’hui au CNRD pour éviter de plonger le pays dans une grave crise dont personne ne peut mesurer les conséquences, c’est de respecter le chronogramme établi en accord avec la CEDEAO. Pour ce faire, ils doivent s’atteler très rapidement et en urgence à lancer les opérations et étapes permettant le retour à l’ordre constitutionnel d’ici le 31 décembre 224.
Au Sénégal tout près, la présidentielle a été reportée. L’accès à internet a également été coupé avant d’être rétabli. L’opposition parle déjà d’un coup d’État institutionnel. Beaucoup de Sénégalais craignent que Macky Sall ne brigue un mandat comme ce fut le cas en Guinée en 2020 avec Alpha Condé. Quelle est votre grille de lecture à cet effet ?
Le président de la République du Sénégal a décidé d’annuler l’élection présidentielle et de reporter le scrutin de dix mois. Depuis l’indépendance du pays le 4 avril 1960, l’élection présidentielle au Sénégal n’a été reportée qu’une seule fois, en 1963. En présentant sa décision de reporter le scrutin, Macky Sall s’est appuyé sur le différend entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, jugeant que le conflit créait un climat de troubles qui pourraient gravement nuire à la crédibilité du scrutin. Force est de constater que la décision de procéder à ce glissement électoral de près de dix mois n’a pas permis d’apaiser les tensions, loin s’en faut. Cette crise est donc quasiment inédite. Plusieurs juristes dénoncent un précédent dangereux pour la démocratie et l’Etat de droit au Sénégal. L’attitude du président sénégalais est déplorable et inquiétante pour la démocratie sénégalaise et intervient dans un contexte de tension sous régionale avec des juntes militaires qui ont fait irruption dans de nombreux pays de la sous-région. Mais le Sénégal a un peuple contrairement à la Guinée bien éduqué et je suis plus que convaincu que ce projet du président sénégalais ne va pas prospérer car la société civile et les acteurs politiques sénégalais feront tout pour faire revenir le président sénégalais à la raison.
Au regard de tout ce qui se passe actuellement, est-ce qu’on peut dire que la démocratie est menacée dans la sous-région alors que les défis sécuritaires restent énormes ?
Oui, je dirai même que la démocratie en Afrique de l’ouest a aujourd’hui un avenir sombre. De nombreux coups d’État et tentatives de coup d’État ont gangrené l’Afrique de l’Ouest au cours des 18 derniers mois, avec des coups d’État réussis au Mali, au Burkina Faso, en Guinée, au Niger et des tentatives en Guinée-Bissau. La plupart des pays d’Afrique de l’Ouest semblent désormais vulnérables à ces prises de pouvoir militaire et, la démocratie dans la sous-région est en train de s’effriter. Il y a des facteurs internes et externes qui expliquent ce recul démocratique dans la sous-région. Sur le plan interne, c’est la manipulation du processus électoral qui entraine souvent la suppression de fichiers d’électeurs par l’intermédiaire de lois restrictives, l’inscription d’électeurs fantômes dans les listes électorales et l’intimidation des électeurs, bref un processus électoral biaisé. L’environnement externe de la démocratisation en Afrique de l’Ouest est devenu de plus en plus défavorable et la gouvernance démocratique ouest-africain souffre de l’absence de défenseurs investis et, les dirigeants de la CEDEAO semblent se préoccuper davantage de l’économie de la région que d’une éventuelle convergence constitutionnelle.
Merci à vous Monsieur BARRY
Interview réalisée par Hadja Kadé Barry