Mur de Berlin, la chute plus tôt que souhaitée (témoignage)

il y a 1 semaine 36
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En 1981, on était en Allemagne démocratique pour un stage pédagogique. Les Soviétiques venaient d’envahir l’Afghanistan. La tension est-ouest était telle qu’on disait que les missiles SS-20 de l’URSS basés en RDA et les Pershing-2 des Américains basés en RFA se faisaient face. Les deux Allemagnes étaient un champ de bataille nucléaire… On parlait aussi de la bombe à neutrons et de ses effets savants et épouvantables. Les manœuvres de l’armée rouge en mer noire augmentaient la tension. Leonid Brejnev, tout tremblant de la maladie de Parkinson, vint à Bonn, chez Helmut Schmid. Même un enfant de cinq ans pouvait le faire tomber, mais le chancelier fédéral l’a réceptionné avec humilité et respect grave : « Je vous salue, Monsieur le secrétaire général ».

Après les 6 mois de langue, nous fûmes envoyés à Stralsund, tout au nord, pour des cours d’endoctrinement :Porträt der DDR, (connaissance de la RDA). Les trois mois étaient basés sur  

L’organisation de la vie socialiste : pas de chômeurs, pas de sans-abris, pas de crève-la-faim en RDA, tandis qu’en RFA, plus 1,8 millions de chômeurs et des SDF un peu partout, des grèves, des manifestations de rue, des protestations sans fin …

Le vieux professeur-docteur Fisher faisait la comparaison, parlait tout de positifs en RDA. Je lui dis que malgré tout, la jeunesse a plus envie d’autre chose que le socialisme, elle le manifeste devant nous, elle déteste le communisme et préfèrent la RFA (BRD). Il serait préférable que l’Allemagne redevienne une, actuellement elle est deux. Mon souhait serait qu’elle redevienne un. Non ! ce n’est plus possible, c’est désormais l’eau et le feu. Je lui retorquai que le Vietnam était aussi deux. Avec le départ des Américains, il est devenu un, je souhaite de même pour la Corée. Je sentis que Herr Fisher était dépité, je lui ai ruiné son discours de propagande en demandant s’il n’a pas une partie de sa famille à l’ouest, comme la plupart des Allemands. Il était marqué. Les autres me chuchotaient d’arrêter. Je dis à Herr Fischer que ce n’est pas réalisable dans l’immédiat, mais c’est envisageable, dans 10-20 ans, parce qu’il y a déjà une lame de fond qui bouge dans la jeunesse. Je l’ais constaté lorsqu’on était à Saalfeld pour la langue. Lors d’un match de la coupe d’Europe des clubs champions, le Dynamo de Berlin rencontrait le Hambourg FC de la RFA. Les étudiants allemands de l’internat d’en face n’avaient pas accès à la TV de la RFA, en public, mais en privé, à domicile, si. Fisher me laissait piailler, Ils sont venus en nombre dans notre salle de séjour pour regarder le match. Il n’y avait pas assez de fauteuils, ils se sont assis à même le parquet. Lors de la rencontre, Hans Jurgen Rüdiger, le meilleur attaquant et buteur de l’Oberliga a slalomé et passé en revue la défense de Hambourg, où il y avait Manfred Karlz et Paul Breiner, et il a tapé le bas du poteau gauche. Les Africains présents ont vibré et applaudi l’action à tue-tête, les jeunes Allemands, eux, ont insulté l’action et ont manifesté du mépris pour l’action pourtant très belle, footballistiquement parlant. Ils devaient avoir assez horreur du rouge. Donc, j’ai compris que la jeunesse n’était pas pour le régime d’Erich Honecker. En DDR, il y a la jeunesse qui aspire au changement, il y a ceux d’un autre âge sont pour le socialisme…

Fort de ce constat, je tins la dragée haute à Fischer, pas pour l’enquiquiner, mais pour être ferme sur mon vœu de voir un jour l’Allemagne unifiée. Je prédis dans 10 ou 20 ans, mais Fischer était catégorique : cela n’est plus possible. Le professeur-docteur ne sentait pas que l’embargo imposé par l’occident pesait sur l’économie des pays socialistes, ou il faisait semblant et on s’est quitté en queue de poisson.

Et vint l’anniversaire de Aboubacar Condé, mon compagnon de classe et de chambre, qui ne voulait pas le fêter par souci d’économie, mais les Allemands ont marqué chaque anniversaire. Ils sont venus lui souhaiter bon anniversaire. Pour cadeau, ils lui ont offert un stylo. Le mois suivant, c’était le mien. On n’avait pas l’habitude de fêter ça, mais les Allemands l’ont mis dans la tête de tout le monde. J’ai cassé ma tirelire pour préparer du riz avec sauce d’arachide au poulet pour une vingtaine de personnes. La fée Cendrillon m’avait assisté, déjà que j’étais un cordon bleu.

Les responsables de l’internat et les professeurs étaient tous présents, sans exception. Ils ont honoré copieusement le repas d’anniversaire. Les Guinéens m’ont fait le compliment de me féliciter pour ma sauce arachide qui a bien pris. Trois semaines plus tard, en remerciement, tous les stagiaires furent invités à Rostock, dans un bateau de la deuxième guerre délocalisé en restaurant flottant.

Pour moi, l’incident lors du cours d’idéologie ne s’est pas transformé en incendie, mais c’était mal connaître les évènements. En 1982, Brejnev meurt. Il est remplacé par Iouri Andropov, qui brandit la menace que si L’URSS est attaquée, elle a les moyens de se défendre. La tension politique était sourde.

La deuxième partie de la formation terminée, nous devions rejoindre nos villes d’attache pour la troisième partie de la formation pour contre-maître dans la préfabrication des plaques et des blocs en béton armé. Il fallait exécuter des plans de ferraillage en hiver. Tordre les fils d’attache des armatures sous la neige n’est pas une sinécure, mais ce n’était pas une punition à laquelle je m’attendais, puisqu’il fallait enseigner cela prochainement. Mais pour quand, la préfabrication, en Guinée ! C’est du passé.

J’avais toujours le sentiment d’être hanté par quelque chose d’ineffable et de pesant. Et vint la coupe du monde 1982. La TV qui était dans notre chambre et qui servait aussi aux autres de Bissau a trouvé le moyen, le jour de l’ouverture des jeux, de sortir des images instables et fuyantes. Représailles. Je pris un tournevis, tournai tout ce qui était à visser, les images revirent pour être regardables. Le lendemain, à notre retour des cours, la TV était redevenue impeccable. Cela signifie que quelqu’un l’avait bel et bien bidouillé. Les représailles n’ont fait que débuter. Aboubacar Condé, mon camarade de chambre est tombé malade. Quand il salue un Allemand, celui-ci s’en allait se laver les mains avec du savon. Ce sont les gars de Bissau qui m’’informe que Aboubacar a la typhoïde, qu’il risquait de me contaminer. Ils ont fait sortir toute leur réserve d’aliments du réfrigérateur. Aboubacar fut opéré. J’étais allé lui rendre visite à l’hôpital, les Bissagos n’y sont pas allés. Ce n’était qu’appendicite. Mais cela avait bien joué sur le moral. Et puis, les congés de décembre. Aboubacar et moi fûmes envoyés à Herringsdorf, au bord de la mer Baltique, en hiver 1982, l’un des plus rigoureux. La mer était gelée. Quel bagne !

Après ces représailles interminables, nous fumes envoyés à l’institut de formation et de sur-formation des ingénieurs pédagogues de Schwerin. Là, ce n’était plus représailles, puisque c’est le meilleur institut de formation pédagogique. A la fin de la formation, à 5 minutes de la cérémonie de clôture, on me remit un petit papier d’une dizaine de lignes, c’était le discours de clôture de la session de formation de 1982 à Schwerin. Le texte me donne le droit d’inviter tous les étudiants et stagiaires à la ‘’cave’’ pour une soirée de clôture avec cocktail. Cet honneur ne signifiait pas que représailles étaient finies.  De retour à Neubrandenbourg, il y a eu une projection de diapositives sur la Guinée. Ni Aboubacar ni les Bissagos ne voulaient aller à la projection. Il y avait de quoi. Ils ne montraient que ce qui est déplorable. Je compris la raison de toutes ces représailles : Sékou Touré venait de se rendre en RFA pour parler de scandale géologique pour obtenir un crédit de 22 millions de Deutch marks alors que Maradona venait de signer avec Barcelone 2 ans pour 21 millions de dollars.

La séance de projection de diapositive a été pour moi l’une des plus marquantes. Je disais aux autres de ne pas faire la fuite en avant, mais d’affronter les questions crues des jeunes sur la vie socio-politico-économique. Les images de Conakry en vue aérienne, les bagarres autour des bornes fontaines, Conakry dans l’obscurité et la polygamie immédiatement décriée par des chahuts et des quolibets, mais je m’en étais honorablement tiré sans baisser la tête et retourné la raillerie sur le projectionniste : Pourquoi vous ne comparez pas la RDA et la RFA ? Aïe !

Bref, de retour en Guinée, mon diplôme ne m’a pas suivi. Il ‘’s’est perdu’’ dans les couloirs du ministère allemand de la FDJ, celui de Aboubacar était venu. C’est à moi que tous les cours de technologie de maçonnerie furent confiés…

En 1989, le Mur est tombé. Le bruit de sa chute m’était venu sur la tête. Plus tôt que prévu ! J’ai pensé immédiatement à Herr Fischer et aux autres convaincus et imbus d’une déologie socialiste mal dirigée. La chute du communisme, tout le monde la voyait venir depuis la mort de Leonid Brejnev., puis de Andropov, puis de Tchernenko, de Eltsine et de Gorbatchev. Que vont devenir tous les professeurs de science sociale, d’idéologie et de propagande socialiste ? La TV ne montrait que les Allemands en liesse. Je savais qu’il y en a qui sont terrés chez eux, là-bas, inquiets pour leur avenir et en train de ronger le frein d’une politique mal gérée.

C’était ma part de participation à la chute de ‘’ Die Mauer ’’, et cela fait déjà 35 ans.

Moïse Sidibé

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