Les variables explicatives du taux élevé d’échec scolaire lors des examens nationaux en République de Guinée (Par Aly Souleymane Camara)

il y a 7 heures 52
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De l’accession de notre pays à l’indépendance jusqu’à nos jours, d’énormes efforts ont été fournis par les pouvoirs publics, avec le soutien indéfectible des partenaires techniques et financiers, dans l’amélioration du système éducatif guinéen. Certes, un certain nombre d’avancées significatives ont été enregistrées, mais les défis à relever restent importants.

En 2019, le gouvernement guinéen a lancé les travaux d’élaboration du Programme Décennal de l’Éducation de la Guinée (ProDEG), après la validation du Rapport d’État sur le Système Éducatif Guinéen (RESEN). Cette analyse sectorielle du système éducatif a permis de faire ressortir les principaux défis sur lesquels le ProDEG devait s’appuyer afin d’apporter des réponses appropriées au développement d’un système éducatif de qualité.

Cependant, en dépit de ces efforts significatifs, la République de Guinée a enregistré, au cours des cinq dernières années, l’un des taux d’échec scolaire les plus élevés de la sous-région lors des examens nationaux. C’est pourquoi nous jugeons utile, dans le cadre de cette tribune, de nous poser les questions suivantes : Qu’est-ce qui explique ce taux élevé d’échec scolaire ? Comment situer le degré de responsabilité des acteurs du système éducatif guinéen dans l’accroissement de ce taux ? En quoi l’harmonisation des efforts dans la lutte contre la fraude lors des examens nationaux contribuera-t-elle à la crédibilisation desdits examens, et par ricochet à la réussite scolaire des élèves ?

En effet, il est important de préciser que notre démarche se veut certes empirique, mais ne propose pas de données exhaustives. Toutefois, nous porterons d’abord un regard critique sur le fonctionnement de certaines institutions (MEPU-A, IRE, DCE, DPE et DSE) en charge de l’enseignement pré-universitaire (I). Ensuite, nous mettrons l’accent sur le taux élevé d’échec scolaire enregistré lors des examens nationaux entre 2020 et 2025 (II).

I. Les structures en charge de l’enseignement pré-universitaire face à l’épreuve des nouvelles dynamiques

Du point de vue de la gestion, du fonctionnement et de l’organisation, le système éducatif guinéen est géré par trois (03) départements ministériels. Mais, pour des raisons de précision, notre réflexion sera essentiellement focalisée sur le Ministère de l’Enseignement Pré-Universitaire et de l’Alphabétisation, sans oublier ses démembrements (A), créés conformément à l’esprit du décret D/2017/203/PRG/SGG du 16 août 2017, qui ont pour mission : la conception, l’élaboration et la mise en œuvre de la politique du gouvernement en matière d’éducation préscolaire, d’enseignement fondamental et secondaire, d’éducation morale et civique, d’alphabétisation, d’éducation non formelle et de promotion des langues nationales.
Ce travail de fond nous permettra, a posteriori, de questionner la capacité opérationnelle des enseignants, la performance des programmes scolaires en vigueur et l’adaptabilité des équipements et infrastructures scolaires (B), au regard des mutations enregistrées dans notre pays, notamment celles liées à la digitalisation et à l’introduction des technologies de l’information et de la communication.

A. Du cloisonnement des structures en charge de l’enseignement pré-universitaire et de l’enchevêtrement du clanisme et du favoritisme des cadres

En République de Guinée, à l’instar des autres pays de la sous-région, le système éducatif pré-universitaire (maternelle, primaire et secondaire) est caractérisé par une fragmentation des structures administratives chargées de sa gestion. Ce cloisonnement institutionnel constitue un handicap majeur pour la cohésion des approches de gestion efficiente et rationnelle de l’action éducative, pour plusieurs raisons.

Premièrement, au niveau central, les ministres se succèdent à la tête du département sans réel impact en termes de refonte structurelle et fonctionnelle inscrite dans la durée. Ces ministres se focalisent davantage sur la gestion des examens nationaux, au lieu d’assurer une bonne coordination de la politique nationale de l’éducation prenant en compte les enjeux actuels et futurs. Faute d’un mécanisme de contrôle transparent, chaque ministre vient avec son clan. C’est pourquoi certains n’hésitent pas à institutionnaliser les pratiques de détournement des deniers publics, à travers l’allocation de ressources liées aux examens nationaux et d’autres dépenses non traçables.

Deuxièmement, au niveau des structures déconcentrées (IRE, DCE, DPE et DSE), non seulement celles-ci souffrent d’un sureffectif de cadres, mais elles présentent aussi un déficit d’harmonisation et de coordination dans l’exécution du plan d’action annuel. En général, les inspections régionales manquent de dynamisme dans le contrôle des enseignants et la remontée de rapports sur l’état du système éducatif. En outre, les DCE, DPE et DSE font face à un manque de ressources humaines qualifiées, et à des pratiques de favoritisme, de clanisme et de corruption dans les affectations et promotions. À cela s’ajoutent les difficultés à collecter des données fiables sur la scolarisation et la qualité des apprentissages, ainsi que les manœuvres frauduleuses orchestrées par certains cadres, de l’inscription au transfert des élèves, jusqu’à la publication des listes des jurys.

B. Quel enseignant pour quel programme et dans quel écosystème scolaire ?

Dans un contexte où la République de Guinée est confrontée à de nombreux défis, la question des enseignants qualifiés, des programmes scolaires adaptés et des infrastructures modernes se pose avec acuité, notamment dans les zones rurales où le taux d’échec scolaire est très élevé. Outre ces aspects organisationnels, il faut reconnaître que le budget alloué au Ministère de l’Enseignement Pré-Universitaire et de l’Alphabétisation n’a pas connu de réelle amélioration. Ce n’est qu’avec la Loi de Finances Initiale de 2025 qu’une revalorisation a été observée, le budget passant de 2 372,05 milliards GNF à 3 263,91 milliards GNF, soit environ 8 % du budget national.

En général, entre 70 % et 85 % de ce budget est absorbé par les dépenses de personnel (salaires, indemnités, primes). Seulement 5 % à 10 % sont consacrés à la construction et à la rénovation d’infrastructures devenues obsolètes. Les manuels scolaires et les équipements représentent une part encore plus réduite. Or, la norme internationale (UNESCO) recommande d’allouer 15 à 20 % du budget national à l’éducation et 4 à 6 % du PIB. La part actuelle de la Guinée reste donc en deçà des standards.

II. Le taux élevé d’échec scolaire aux examens nationaux en Guinée : une réalité persistante

Depuis plusieurs années, les examens nationaux en Guinée (Certificat d’Études Élémentaires – CEE, Brevet d’Études du Premier Cycle – BEPC, et Baccalauréat unique) se caractérisent par des taux de réussite très faibles. Ce constat peu élogieux constitue un défi majeur pour les autorités éducatives et une préoccupation pour les autres acteurs (parents, élèves, partenaires techniques et financiers). C’est pourquoi un effort de diagnostic des causes profondes de ces échecs (A) permettra de proposer des pistes de solution (B).

A. L’échec scolaire aux examens nationaux : symptôme des fragilités du système éducatif guinéen

Le taux élevé d’échec aux examens nationaux en Guinée est le symptôme d’un système éducatif en crise, à la fois complexe et multidimensionnelle. S’il reflète en partie une rigueur nouvelle dans l’organisation des examens, il met surtout en lumière les faiblesses structurelles de l’éducation, la formation insuffisante des enseignants et la qualité discutable des programmes scolaires.

Cette problématique est d’autant plus inquiétante qu’elle entraîne des conséquences graves : abandon scolaire, délinquance juvénile, immigration clandestine, etc.
Des réformes courageuses, accompagnées d’investissements conséquents et d’une gouvernance transparente, sont indispensables pour inverser cette tendance et offrir à la jeunesse guinéenne une éducation de qualité.

Aujourd’hui, nul n’ignore l’institutionnalisation de la fraude tout au long des examens, transformant ces derniers en une « question de vie ou de mort ».
Par exemple : En 2020 : taux de réussite de 44 % au CEE, 31 % au BEPC et 24 % au BAC. En 2021, suite aux réformes engagées par le ministre Guillaume Hawing : 17 % au CEE, 15 % au BEPC et 9 % au BAC. En 2022 : taux d’échec de 82,4 % au CEE, 85 % au BEPC et 91 % au BAC. En 2024 : amélioration notable avec 63,22 % au CEE, 47,11 % au BEPC et 24,64 % au BAC. En 2025 : 58,65 % au CEE, 54,16 % au BEPC et 32,33 % au BAC.

B. La nécessité d’une refonte structurelle et fonctionnelle du système éducatif guinéen

À la lumière des résultats des cinq dernières années, il apparaît évident que ces taux élevés d’échec soulignent la nécessité urgente d’une refonte structurelle et fonctionnelle du système éducatif. Ce dernier demeure un pilier fondamental pour le développement du capital humain en Guinée. C’est pourquoi une approche plus efficiente et harmonisée est indispensable en matière de : formation initiale et continue des enseignants, la révision et amélioration des contenus des programmes scolaires pour les rendre dynamiques et adaptés aux besoins, la lutte rigoureuse contre la fraude sous toutes ses formes, la construction d’infrastructures modernes pour un meilleur apprentissage afin d’aligner l’éducation sur les priorités socio-économiques du pays et les standards internationaux.

Aly Souleymane Camara

🎓 𝐂𝐡𝐚𝐫𝐠𝐞́ 𝐝𝐞 𝐜𝐨𝐮𝐫𝐬 𝐞𝐧 𝐚𝐧𝐚𝐥𝐲𝐬𝐞 𝐝𝐮 𝐝𝐢𝐬𝐜𝐨𝐮𝐫𝐬 𝐩𝐨𝐥𝐢𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐚̀ 𝐥’𝐔𝐧𝐢𝐯𝐞𝐫𝐬𝐢𝐭𝐞́ 𝐆𝐞́𝐧𝐞́𝐫𝐚𝐥 𝐋𝐚𝐧𝐬𝐚𝐧𝐚 𝐂𝐨𝐧𝐭𝐞́ 𝐝𝐞 𝐒𝐨𝐧𝐟𝐨𝐧𝐢𝐚-𝐂𝐨𝐧𝐚𝐤𝐫𝐲 (𝐔𝐆𝐋𝐂-𝐒𝐂) — Enseignant-chercheur spécialisé dans l’analyse des discours publics et politiques, avec un intérêt pour la rhétorique, la communication de crise et les stratégies discursives dans l’espace médiatique et institutionnel.

📈 𝐂𝐨𝐧𝐬𝐮𝐥𝐭𝐚𝐧𝐭 𝐞𝐧 𝐜𝐨𝐦𝐦𝐮𝐧𝐢𝐜𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐞𝐭 𝐦𝐚𝐧𝐚𝐠𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐝𝐞𝐬 𝐞́𝐭𝐚𝐛𝐥𝐢𝐬𝐬𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭𝐬 𝐬𝐜𝐨𝐥𝐚𝐢𝐫𝐞𝐬 — J’accompagne les écoles et institutions éducatives dans la définition et la mise en œuvre de stratégies de communication interne et externe, ainsi que dans l’amélioration de la gouvernance et de la qualité de gestion.

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