Augustin Gnimassou, Sociologue : “Sans les acteurs politiques, le pacte d’entente pour la paix est incomplet”

il y a 8 heures 58
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Le gouvernement guinéen et les autorités coutumières ont récemment signé un pacte d’entente nationale visant à prévenir les conflits, à renforcer la cohésion sociale et à promouvoir une paix durable sur l’ensemble du territoire. Quelle lecture peut-on faire de cette initiative ? Le sociologue Augustin Gnimassou, enseignant-chercheur à l’Institut supérieur de l’information et de la communication (ISIC) de Kountia, livre son analyse.

Guinée360 : Le gouvernement et les autorités coutumières ont signé un pacte pour la paix, l’unité et la cohésion sociale. Quel regard portez-vous sur cette démarche ?

Augustin Gnimassou : Même en tant que simple citoyen, je ne peux que saluer une telle initiative, surtout au regard des violences récurrentes dans notre pays et de leurs conséquences sur les vies humaines, les biens matériels et la cohésion sociale. C’est une démarche louable. Mais il ne faut pas se leurrer : c’est aussi un défi de taille à relever.

Pourquoi parlez-vous de défi ?

Parce qu’on ne peut jamais totalement maîtriser ce qui se passe dans l’esprit des gens. Certains réagissent très vite, parfois de manière impulsive. Le véritable enjeu, c’est d’assurer un suivi rigoureux des événements et de mettre en place un système d’alerte précoce, appuyé par un mécanisme de dialogue rapide. Sans cela, ce pacte risque de rester une déclaration d’intention.

Vous soulignez l’absence de la classe politique. Pourquoi est-ce problématique ?

C’est un point fondamental. Les acteurs politiques sont souvent au cœur des tensions. Or, ils n’ont pas été associés à la signature du pacte. Cela peut poser problème : certains pourraient considérer qu’ils ne sont pas concernés, voire qu’ils ne s’y sentent pas engagés. Il est indispensable que tous les protagonistes des conflits en Guinée, en particulier les leaders politiques, s’impliquent dans un dialogue sincère. La confiance doit être le socle d’une réconciliation durable.

En quoi cette signature vous semble-t-elle forte sur le plan symbolique ?

Elle l’est d’autant plus que tout le processus ayant mené à ce pacte s’est déroulé dans une grande discrétion. Beaucoup, y compris parmi les autorités, ont été surpris d’apprendre que des discussions étaient en cours depuis deux ou trois ans. Ce travail en coulisses a permis d’éviter les interférences, les manipulations et les récupérations politiques. C’est déjà, en soi, un succès.

Quel est le rôle des autorités traditionnelles dans cette démarche ?

Il est majeur. Les autorités coutumières disposent d’une véritable autorité morale dans leurs communautés, souvent plus forte que celle des responsables politiques. Leur parole est respectée. Ils peuvent jouer un rôle de médiateurs efficaces. Pour une grande partie de la population, un appel au calme de leur part peut avoir bien plus d’impact qu’un discours officiel.

Peut-on y voir une forme de reconnaissance de leur rôle dans la gouvernance ?

Cette reconnaissance n’est pas nouvelle. Déjà sous le régime du général Lansana Conté, les autorités traditionnelles intervenaient dans la gestion des conflits. Certes, elles n’avaient pas de statut juridique formel, mais leur rôle était crucial sur le terrain.

Ce pacte peut-il concrètement renforcer la cohésion sociale?

Il faudra l’éprouver dans les faits. Le véritable test sera sa capacité à désamorcer un premier conflit. Les signataires s’impliqueront-ils concrètement pour calmer les tensions ? Pour le moment, ce n’est qu’un vœu. Mais un vœu légitime.

Concernant les tensions interethniques ou interrégionales, quel peut être l’impact de ce pacte ?

Ces tensions existent depuis bien avant l’indépendance. Pourtant, les communautés continuent à vivre ensemble, à commercer, à se marier. Ces liens sont solides. Les conflits politiques sont, à mon sens, des épiphénomènes. Le pacte peut contribuer à apaiser certaines crispations, mais les dynamiques intercommunautaires ont leur propre logique et leur propre résilience.

Les valeurs mises en avant — dialogue, justice, tolérance — ont-elles une résonance particulière en Guinée ?

La notion de pardon est profondément ancrée dans notre culture. Mais ce dont nous avons surtout besoin aujourd’hui, c’est de conscience. Le jour où chacun fera preuve de lucidité et cessera de voir en l’autre un ennemi potentiel, alors nous pourrons envisager une paix véritable.

Quels mécanismes concrets faut-il mettre en place pour traduire ces valeurs en actes ?

Il n’y a pas de recette miracle. La conscience ne s’impose pas par décret, elle se vit. Elle s’exprime dans nos comportements, dans notre capacité d’écoute, dans nos attitudes quotidiennes. Ces dynamiques sont fragiles, sensibles aux aléas du contexte.

Vous évoquez la ressource comme facteur central des conflits. Pouvez-vous préciser ?

La majorité des conflits tourne autour de l’accès aux ressources : argent, terres, pouvoir. En Guinée, la principale source de richesses, c’est l’État. C’est lui qui nomme, rémunère, octroie des privilèges. D’où les luttes acharnées pour en prendre le contrôle. Si le secteur privé devenait plus robuste, capable d’offrir des alternatives, les tensions politiques s’apaiseraient d’elles-mêmes.

Quel rôle peuvent jouer les comités locaux de veille ?

Ils ont pour mission de détecter les signes avant-coureurs de conflits afin que des mécanismes de dialogue puissent être activés à temps. Ils doivent suivre rigoureusement leur feuille de route.

Quels sont, selon vous, les principaux obstacles à la mise en œuvre de ce pacte ?

Le comportement des acteurs politiques constitue le principal défi. Certains peuvent, pour des raisons d’intérêt personnel, remettre en cause une paix relative. C’est à ce moment-là qu’on verra si les signataires sont capables d’influencer positivement la situation.

Le pacte risque-t-il de rester symbolique ?

Tous les risques existent. Paradoxalement, je souhaiterais qu’il reste symbolique — dans le sens où il ne serait jamais nécessaire de l’activer, faute de conflit. Mais au regard des tensions actuelles, notamment autour de la Constitution, il est probable qu’il soit mis à l’épreuve très bientôt.

Quels sont, selon vous, les facteurs de réussite de ce pacte ?

La bonne volonté de tous. Mais encore faut-il que les chefs traditionnels aient une réelle influence sur les leaders politiques issus de leur communauté. Or ces derniers ont souvent leur propre agenda, parfois contraire aux intérêts collectifs. Ils peuvent facilement ignorer l’autorité de leurs chefs s’ils estiment qu’elle entrave leur ascension politique.

Ce pacte peut-il s’inscrire dans une dynamique de réconciliation ou de refondation nationale ?

Même si l’on parle aujourd’hui de « refondation » plutôt que de « transition », ce pacte a toute sa place dans le processus de pacification. Les signataires sont des figures respectées. À un certain âge, on ne trahit pas sa parole à la légère. Je pense qu’ils s’engageront sincèrement pour préserver la paix.

Quel message souhaitez-vous adresser aux signataires et à la population ?

Je ne suis pas bien placé pour donner des leçons, d’autant que j’ai moi-même participé aux recherches ayant conduit à ce pacte. Mon message figure déjà dans le rapport remis au CIRD et transmis au PNUD. Mon seul souhait, c’est que ce pacte contribue réellement à préserver la paix, et que les acteurs sociopolitiques sachent, le moment venu, se retrouver autour des principes qu’il incarne. L’intérêt national doit l’emporter sur les égos individuels.

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