65ᵉ anniversaire- L’historique de la monnaie guinéenne, entre résilience et vision futuriste (Par Abdoulaye Guirassy)

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A l’occasion des 65 ans de la création de la monnaie guinéenne, symbole de notre souveraineté monétaire, une analyse approfondie et détaillée sur l’historique et la trajectoire de notre monnaie est fondamentale, afin d’évaluer le chemin parcouru et les innombrables défis dans la conduite de la politique monétaire dans notre pays. Mon exposé s’appuie sur des données factuelles passées et récentes, des réflexions pointues et une vision prospective afin de renforcer la stabilité et la crédibilité de notre devise nationale.

 De l’héritage colonial à la modernisation institutionnelle

Né le 1ᵉʳ mars 1960, le franc guinéen est le fruit d’une rupture politique et idéologique pour l’affirmation appuyée de notre indépendance monétaire. Cette décision portée par le président d’alors Ahmed Sékou Touré, s’est heurtée à des défis structurels, mais a néanmoins posé les jalons d’une économie autocentrée avec le remplacement de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCAO) par la Banque de la République de Guinée (BRG) et le remplacement du franc CFA par le franc guinéen.

La BRG deviendra en 1961 la Banque Centrale de la République de Guinée (BCRG), celle-ci se désengage des fonctions de banque commerciale et de banque de développement pour ne conserver exclusivement que les fonctions d’émission. Avec la vague de la nationalisation des banques étrangères dans le pays, plusieurs banques publiques et entièrement étatiques à vocation spécifique sont ouvertes : La BNDA (Banque Nationale pour le Développement de l’Agriculture) ; la Banque Guinéenne du Commerce Extérieur (BGCE) et le Crédit National pour le Commerce, de l’Industrie et de l’Habitat.

L’histoire de la monnaie fiduciaire guinéenne a été marquée par plusieurs émissions, changements de noms, des signes monétaires et de la banque centrale émettrice.

 Les premières décennies : audace et turbulences (1960-1984)

  • 1960 : Introduction du franc guinéen, marquait une rupture avec le système monétaire colonial, conformément à la vision du président Sékou TOURE qui considérait la monnaie comme un attribut essentiel de la souveraineté de notre pays. A ce titre il affirmait « l’effort du gouvernement visant la pleine indépendance nationale et le développent d’une économie nationale s’est avéré infructueux tant que le pays n’aura pas été doté d’une personnalité monétaire propre et d’une autonomie financière réelle pouvant favoriser l’accroissement de la production et régler sur des bases saines les relations économiques et financières de la Guinée ».

1963 : nouvelle émission du franc guinéen pour remplacer la précédente émission jugée de qualité peu appréciable, cette émission n’a eu aucune incidence sur la circulation fiduciaire en Guinée car elle n’avait qu’une fonction de remplacement des anciennes coupures.

1972 : Deux autres banques publiques ont vu le jour, notamment la Banque Nationale des Services Extérieurs (BNSE) pour les transferts et le change manuel, et la Banque Nationale d’Epargne et de Dépôt (BNED) dont la fonction essentielle était de collecter la petite épargne des travailleurs.

A cette même année, le Sily (GNS), devient le nouveau signe monétaire qui se substitue au franc guinéen et l’échange monétaire se fait sur la base de 1 GNS = 10 GNF. Cette réforme monétaire était une tentative de relancer l’économie, mais a malheureusement entraîné l’effet boomerang en conduisant à une inflation galopante de l’ordre de 22 %.

1980 : La dette publique devient abyssale allant jusqu’à 70 % du PIB avec son corollaire de dépréciation du Sily par l’effet de la séparation de la Banque Centrale et de l’institut d’émissions qui a été directement rattaché à la présidence. Ceci reflète les difficultés de gestion d’une économie fortement étatique au sein de laquelle l’émission des billets est considérée par le président comme un acte d’état qui requiert par voie de conséquence une supervision et un contrôle présidentiel.

1983 : Création de la première banque privée « La Banque Islamique de Guinée » (BIG). La création de cette banque privée a été favorisée par des considérations géopolitique et idéologique.

 La réforme libérale de 1986 : un tournant décisif

A la faveur du changement politique intervenu en avril 1984, le nouveau gouvernement s’oriente vers une politique économique libérale. En septembre 1985 une refondation systématique de la structure de la Banque Centrale est opérée.  La BCRG retrouve et recouvre toutes ses prérogatives d’émission et parallèlement on assiste à la liquidation de toutes les banques d’Etat et la naissance de nouvelles banques commerciales à capitaux privés ou mixtes.

Un vaste chantier de réforme monétaire a été réalisé en janvier 1986, qui a conduit à une dévaluation du Sily de 92% de sa valeur, cette dévaluation est sous tendu par un nouveau changement de signe monétaire, la monnaie redevient le franc guinéen (GNF), avec une nouvelle parité de 1GNS = 1GNF. Cette dévaluation du Syli était une mesure douloureuse mais nécessaire, car elle a redéfini la valeur du GNF et a ouvert l’économie guinéenne aux marchés internationaux.

En janvier 1986, il est mis en place un marché hebdomadaire des devises aux enchères à la BCRG, avec une flexibilité contrôlée du franc guinéen.

Ces mesures contracycliques ont conduit à une stabilisation temporaire de la monnaie nationale en faisant passer l’inflation de 22 % en 1983 à 10 % en 1987, et les réserves de change ont connu une légère embellie.

 Modernisation institutionnelle (2010-2024)

Le renforcement de l’autonomie de la BCRG à travers la loi bancaire de 2010, a permis une gestion plus autonome de la politique monétaire permettant de ramener l’inflation de 22 % en 2010 à 6 % en début 2025, pendant que les réserves de change sont passées de 1,2 milliard USD en 2023 à 1,7 milliard USD en 2024, consolidant les avoirs extérieurs nets provenant essentiellement des recettes minières.

Malgré ces avancées reluisantes, la BCRG reste confrontée à des défis, notamment la volatilité du taux de change, en ce sens que le franc guinéen reste vulnérable aux chocs endogènes et exogènes qui affectent les déterminants de son taux de change, comme l’atteste ces quelques indicateurs ci-dessous de la Banque centrale :

 Déséquilibres structurels et pressions inflationnistes

  • Balance commerciale: Bien que les exportations minières aient pu générer 1,24 milliard USD en 2022, seulement 40 % des devises issues du secteur minier ont été rapatriées et ce malgré les injonctions du gouvernement, toute chose qui impacte négativement les réserves de change de la BCRG et par ricochet les avoirs extérieurs nets.
  • Inflation: En 2024, l’inflation a atteint 10,3 %, avec des pics allant jusqu’à à 15 % à Conakry surtout après l’incendie du dépôt de carburant de Kaloum en décembre 2023. Toutefois, elle est redescendue et maitriser à 4,7 % au troisième trimestre 2024, avant de remonter à 7,6 % fin 2024.
  • Masse monétaire: En glissement annuel, elle a augmenté de 36,3 % pour atteindre 65 497,7 milliards GNF en septembre 2024, reflétant une expansion du crédit mais aussi un risque de surchauffe dû à une croissance rapide de l’économie.

 

Le taux de change et la dollarisation

  • Dépréciation face au dollar : Le franc guinéen s’est dévalué de 1,2 % en glissement annuel en septembre 2024, avec un taux moyen de 8 585,81 GNF pour 1 USD sur le marché officiel, contre 8 800 GNF sur les marchés parallèles.
  • Dépendance aux devises : 65 % de nos transactions commerciales sont libellées en USD, ce qui réduit substantiellement l’efficacité de la politique monétaire et affaisse les avoirs extérieurs nets de la BCRG.

 Facteurs exogènes : crises géopolitiques et climatiques

  • Guerre en Ukraine et conflit Israélo-Hamas: Ces crises ont fortement perturbé les chaînes d’approvisionnement, faisant grimper les prix des carburants de 60 % entre 2023 et 2024.
  • Catastrophes naturelles: Les inondations sans précèdent durant l’année 2024 ont réduit la production agricole de 12 %, exacerbant l’inflation alimentaire.

Face à ces défis majeurs, la BCRG a fait preuve de proactivité en agissant sur les instruments et des canaux de transmission de la politique monétaire :

  • Taux directeur: réduit à 10,75 % en 2024 après un pic à 11 % en 2023, pour stimuler la croissance ;
  • Réserves obligatoires: Le coefficient est passé de 15 % à 12,75 % en 2024, tout en injectant 5 000 milliards GNF dans l’économie ;
  • Les réserves de Change: Les réserves internationales ont augmenté de 5,4 % en 2024, atteignant 1 715,64 millions USD, grâce au rapatriement de 50 % des recettes d’exportation.

A la suite de cette revue holistique de la monnaie guinéenne et de la politique monétaire qui assure sa calibration, il me parait pertinent de jeter un regard prospectif et futuriste sur certains choix stratégiques de notre pays et qui ont un impact direct ou indirect sur le GNF, il s’agit du programme Simandou 2040 et la perspective d’union monétaire dans le cadre de la Zone Monétaire Ouest Africaine (ZMAO).

« Vision Simandou 2040 » est un programme catalyseur de l’économie guinéenne dans les 15 prochaines années, il pourrait être une opportunité de transformation économique et monétaire pour renforcer la stabilité du franc guinéen et soutenir une croissance inclusive et durable. Ce programme est composé de 5 piliers notamment :

  • Pilier 1 Agriculture, Commerce, Industrie alimentaire ;
  • Pilier 2 Education et Culture ;
  • Pilier 3 Infrastructures, Transports et technologies ;
  • Pilier 4 Economie, finances, Assurances ;
  • Pilier 5 Santé et Bien Être.

 Les impacts de ce programme sur la politique monétaire pourraient être les suivants :

  • Stabilisation des réserves de change : Les revenus générés par Simandou permettront d’accroître les réserves de change, réduisant de facto la volatilité du franc guinéen.
  • Réduction de la dépendance aux devises étrangères : En développant une chaîne de transformation locale, la Guinée pourrait réduire sa dépendance vis-à-vis des importations et renforcer la demande du franc guinéen.
  • Modernisation des infrastructures financières : Les investissements dans les infrastructures numériques et les systèmes de paiement modernes soutiendront l’inclusion financière et la stabilité monétaire avec à la clé le développement des fintechs et la finance verte.

La perspective d’union monétaire dans le cadre de la Zone Monétaire en Afrique de l’Ouest (ZMAO) est une autre vision futuriste qui impactera directement le franc guinéen.

Pour rappel, la ZMAO s’est fixée pour objectif primordial d’établir une monnaie unique dénommée ECO, établie sur la base d’un taux de change fixe et irrévocable entre les différentes monnaies, à savoir : le Franc guinéen, le Dalassi gambien, le Cédi ghanéen, le Léon sierra léonais et le Naira nigérian. L’objectif final sera la fusion de l’ECO et du Franc CFA, permettant ainsi à l’ensemble des pays de l’Afrique de l’Ouest de disposer d’une zone monétaire unique et stable pour notre sous-région.

Pour parvenir à ces objectifs, la ZMAO s’est fixée des critères de convergence suivants :

  • Un déficit budgétaire de moins de 5 % du PNB ;
  • Un taux d’inflation inférieur à 5 % ;
  • Un déficit budgétaire à moins de 10 % des recettes fiscales des années antérieures ;
  • Les réserves de la Banque centrale doivent couvrir trois mois d’importations.

À l’origine, les dirigeants des pays de la ZMAO avaient envisagé la mise en application de l’ECO (monnaie commune) avant juillet 2005, mais au regard des faibles performances économiques et monétaires dans l’atteinte des critères de convergence, il a été décidé de façon unanime par les chefs d’État lors de leur sommet de Conakry en mai 2005 de reporter le lancement de l’ECO pour 2009, tout en dénonçant le faible niveau d’engagement politique et le manque d’intégration des cibles de convergence aux programmes économiques nationaux. Ces facteurs sont rédhibitoires à l’établissement de l’union monétaire ouest-africaine.

Les rencontres de haut niveau ont toujours lieu, afin d’examiner les questions en lien avec la convergence macro-économique des pays membres, l’intégration commerciale, la coopération monétaire, la stabilité des secteurs financiers, les systèmes de paiement et le taux de change.

Force est de constater que l’horizon de la mise en place d’une véritable intégration monétaire s’éloigne de jour en jour, en raison de l’instabilité du cadre macro-économique des pays membres et du respect des critères de convergence, condition sine qua non d’un projet d’une telle envergure.

Au-delà de ces aspects prospectifs de notre monnaie nationale et de la politique monétaire, il est important aussi de signaler la surliquidité de notre système bancaire fort de 21 banques. Cette situation est due à un accès limité des PME guinéennes au crédits bancaires, grâce aux obstacles suivants : taux d’intérêt élevé, exigences de garantie, absence de structuration financière.

Les institutions financières locales sont tournées vers les grandes entreprises, le commerce et surtout dans la souscription des Titres de Créances Négociables (TCN) émises par l’Etat, notamment les obligations du Trésor, bons du trésor.

Conclusion
Le franc guinéen, notre bien commun est à la croisée des chemins, il reste de façon générale tributaire des choix stratégiques dans la conduite de la politique économique du gouvernement et plus spécifiquement de la politique monétaire. Les défis restent immenses, mais les progrès réalisés et les difficultés transcendées depuis le 1er mars 1960, témoignent de notre capacité collective à innover et à s’adapter aux conjonctures économiques. Les autorités monétaires (BCRG), doivent poursuivre les réformes en conjuguant rigueur et flexibilité pour l’ancrage pérenne de la confiance dans notre monnaie nationale. Ces mesures permettront de bâtir une économie inclusive et résiliente en vue de consolider le cadre macroéconomique en Guinée. Toutefois, il n’en demeure pas moins que les terreaux qui fertiliseront ce vaste chantier de transformation structurelle seront : la gouvernance vertueuse, la diversification économique et une politique environnementale rigoureuse et efficace.

Abdoulaye GUIRASSY (membre correspondant de l’Académie des Sciences de Guinée)

Economiste-politologue, chargé de cours d’économie monétaire

Mail : [email protected] (610 05 55 55)

 

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