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Dans l’histoire du continent africain, le contrôle de la parole a toujours été une affaire de pouvoir.
De l’ère des empires à celle de la colonisation, puis aux États postcoloniaux, ceux qui ont su modeler les récits ont exercé une domination bien plus durable que ceux qui n’avaient que les armes. Aujourd’hui, cette vérité ancienne prend une tournure vertigineuse avec l’ère numérique. Jamais les sociétés africaines n’ont été aussi exposées à l’influence externe, à la falsification des faits, et à la manipulation méthodique des esprits.
Ce qui était jadis l’apanage des services secrets et des chancelleries est désormais à la portée de groupes organisés, d’intérêts étrangers ou de puissances régionales, parfois sous-traité à des armées numériques anonymes.
À travers les réseaux sociaux, les plateformes de messagerie ou les sites d’« information » douteuse, se déploie une guerre silencieuse, mais redoutablement efficace : celle de la désinformation.
Dans des pays comme la Guinée, où les défis démocratiques sont nombreux et où la population, majoritairement jeune, est connectée mais peu formée à l’esprit critique numérique, cette guerre a des conséquences dévastatrices.
Rumeurs, théories du complot, discours de haine, fausses alertes politiques ou sanitaires : la désinformation y trouve un terrain fertile. Ce n’est plus seulement la vérité qui vacille, c’est la cohésion sociale elle-même qui se fissure.
Et ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas d’un phénomène marginal ou accidentel. Derrière ces flux d’images décontextualisées et ces narrations biaisées se dissimulent souvent des intérêts bien définis. Certains cherchent à décrédibiliser un régime. D’autres à empêcher une réforme. D’autres encore à orienter les choix économiques, voire à influer sur des partenariats stratégiques.
Le terrain africain est ainsi devenu un laboratoire géopolitique, où se croisent propagandes étrangères, ambitions de multinationales, et luttes locales pour le pouvoir.
La désinformation est d’autant plus dangereuse qu’elle épouse les codes de la confiance : elle se dissimule derrière un ton familier, des figures locales ou des contenus visuellement convaincants.
Elle infiltre les débats publics, détourne les colères populaires, et pousse parfois les peuples à se dresser contre leurs propres intérêts, au nom de slogans ou de causes soigneusement fabriqués.
Alors, que faire face à cette nouvelle forme de colonisation mentale ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit : une prise d’assaut des consciences, où l’arme n’est plus la baïonnette, mais le tweet, le montage vidéo ou l’infox virale. L’Afrique ne peut se permettre d’y rester passive.
La première ligne de défense, c’est l’éducation. Pas une éducation technocratique, mais une éducation au discernement, à la lecture critique, à la contextualisation. Il faut réapprendre à douter, à questionner, à vérifier. Les écoles, les médias publics, les universités, les influenceurs eux-mêmes doivent être mobilisés pour bâtir une citoyenneté informée, lucide, résistante.
Ensuite vient la souveraineté numérique. Il est inadmissible que nos données, nos récits, nos débats, nos algorithmes soient exclusivement contrôlés par des puissances extérieures.
L’Afrique doit investir massivement dans ses propres infrastructures numériques, encourager les alternatives locales, réguler les plateformes et poser ses conditions à la circulation de l’information sur son territoire.
Enfin, les États africains doivent comprendre que le contrôle de l’information ne se décrète pas par la censure, mais se construit par la crédibilité. Un gouvernement qui informe juste, tôt, et de manière transparente, désarme les manipulateurs avant même qu’ils n’entrent en scène.
La vérité, même complexe, même inconfortable, est un bouclier bien plus puissant que la répression ou le silence.
Nous sommes à un tournant. Si l’Afrique ne parvient pas à reprendre la maîtrise de ses récits, elle perdra bien plus que des élections ou des marchés : elle perdra la capacité à décider d’elle-même.
La désinformation n’est pas un phénomène passager, c’est le visage moderne de la domination. Il appartient à chaque société africaine, à chaque citoyen, à chaque institution, de relever le défi. Car une nation qui ne sait plus faire la différence entre l’illusion et la réalité est une nation en danger de disparition symbolique.
Par Abdoulaye SANKARA, Journaliste
L’article La fabrique du faux : comment la guerre de l’information menace la souveraineté africaine ( Édito de Abdoulaye SANKARA) est apparu en premier sur Actuguinee.org.