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http://Actuguinee.org / À trois mois du référendum constitutionnel prévu le 21 septembre, la junte militaire dirigée par Mamadi Doumbouya a mis en place une Direction générale des élections, directement placée sous l’autorité du Ministre en charge de l’administration du territoire et de la décentralisation.
Ce nouveau geste relance le vieux débat sur le rôle d’une Commission électorale nationale indépendante, la fameuse CENI, que certains continuent de brandir comme la solution miracle aux crises électorales. Mais à force de la réclamer, s’est-on vraiment demandé ce qu’elle a apporté, concrètement ? La CENI est-elle une garantie d’élections crédibles ou une illusion à laquelle nous tenons par confort politique ?
Cette institution est devenue, dans bien des pays africains, un mécanisme coûteux, inefficace et souvent contre-productif. Elle ne résout pas les problèmes, elle les déplace. Elle ne crée pas de confiance, elle fabrique des soupçons. Elle ne neutralise pas les conflits politiques, elle les institutionnalise. Pourtant, on persiste à y croire.
Pourquoi continuer à entretenir une structure dont l’indépendance est purement théorique ? Peut-on vraiment parler de neutralité quand les membres de la CENI sont désignés par le pouvoir ou selon des accords politiques opaques ? C’est un peu comme confier l’arbitrage d’un match à un proche d’un des joueurs, puis s’étonner du score final.
Ici comme ailleurs, la CENI n’a jamais été synonyme de transparence ou de stabilité. Les élections de 2010, 2015 et 2020 ont toutes été organisées par elle. A-t-on connu une seule élection apaisée ? À chaque scrutin, les contestations explosent, les rues s’enflamment, et les morts s’ajoutent à la liste des victimes d’un système électoral jamais crédible. En République Démocratique du Congo, la CENI a été accusée de tripatouillage en 2011 et 2018. Au Kenya, les élections de 2007, supervisées par une commission électorale indépendante, ont débouché sur des violences post-électorales tragiques. On connaît la suite. Ce n’est pas un organe qui garantit la transparence, c’est la volonté politique de rendre des comptes.
À quoi bon recycler un modèle qui ne fonctionne pas ? Pire encore, cette structure sape les capacités de l’administration publique. Elle lui vole ses prérogatives, détourne les financements, fragilise sa légitimité. Pourquoi dépenser autant pour une entité temporaire, quand des ministères permanents, dotés de ressources et de réseaux territoriaux, pourraient faire le travail de manière plus claire et responsable ?
La triste vérité, c’est que la CENI permet au pouvoir de manipuler subtilement le processus électoral tout en gardant les mains propres. C’est l’art de gouverner sans assumer. Si les choses tournent mal, on pointe la commission. Si elles se passent bien, on s’en attribue les mérites.
Ce flou profite toujours à celui qui détient la manette. Certains continuent de croire qu’il vaut mieux une mauvaise CENI qu’un ministère en charge des élections. Mais un régime autoritaire saura toujours trafiquer les résultats, quel que soit l’organe en place.
La question n’est donc pas : « Qui organise ? », mais plutôt : « Qui contrôle ? » Qui observe ? Qui peut parler librement ? Qui peut contester sans craindre les représailles ?
Ce ne sont pas les structures électorales qui garantissent des scrutins crédibles, ce sont les contre-pouvoirs. Une presse indépendante, une justice fonctionnelle, une société civile vigilante, des observateurs crédibles, nationaux ou internationaux : voilà les vrais remparts contre la fraude. Pourquoi s’acharner à croire qu’une institution unique, à l’existence intermittente, pourrait remplacer tout cela ? La CENI rassure davantage les bailleurs internationaux que les électeurs. Elle est conçue comme un signal de bonne volonté à l’extérieur, mais n’a jamais vraiment changé la réalité du vote à l’intérieur.
Regardons de plus près ce qui s’est passé récemment au Sénégal. En mars 2024, alors que le président Macky Sall était accusé de manipulations pour retarder l’élection présidentielle, ce n’est pas une commission électorale qui a rétabli l’ordre démocratique. C’est la Cour suprême, en invalidant les décisions arbitraires, c’est la presse indépendante, en dénonçant sans relâche les manœuvres, c’est la société civile, descendue dans la rue, mobilisée et déterminée, qui ont permis le retour au calendrier électoral. L’élection s’est tenue, l’opposition l’a emporté, et le pouvoir a changé. Aucun miracle, aucune structure magique : juste des contre-pouvoirs qui ont joué leur rôle. Voilà la démonstration que l’Afrique n’est pas condamnée à la CENI. Quand les institutions tiennent, le peuple gagne.
Soyons honnêtes : pourquoi la France, l’Allemagne ou les États-Unis n’ont-ils pas besoin de CENI pour organiser leurs élections ? Sommes-nous à ce point différents qu’il nous faille inventer des solutions qui ne marchent que chez nous – et encore ? Ce qui nous manque, ce n’est pas une institution de plus, c’est une culture de la responsabilité. Supprimer la CENI ne signifie pas donner carte blanche au pouvoir, mais clarifier les choses. Si l’État organise les élections, on sait à qui demander des comptes. Si c’est la CENI, tout le monde se renvoie la balle. Et personne ne paie jamais le prix du chaos.
Certains rétorquent que la CENI permet d’inclure l’opposition et la société civile dans le processus. Mais cette participation peut se faire autrement, de manière plus transparente et moins lourde. Rien n’empêche de créer un conseil consultatif électoral, associé au ministère en charge, avec des représentants des partis, de la société civile et des observateurs indépendants. Pourquoi multiplier les structures alors que l’essentiel est dans le contrôle, pas dans la forme ?
La démocratie ne se renforce pas à coups de simulacres. Elle se construit sur des institutions solides, permanentes, contrôlées, modernisées. Elle demande moins de décor, plus de rigueur. Moins de discours, plus de cohérence. La CENI a été une tentative, mais elle a échoué. Il est temps de le reconnaître et de passer à autre chose. Continuer à y croire, c’est préférer le symbole à la substance, l’illusion à la réforme, la forme au fond. Et pendant ce temps, le peuple attend des élections justes, claires, crédibles.
Alors posons la vraie question : voulons-nous vraiment changer les choses, ou simplement faire semblant ?
Ousmane Boh KABA
L’article CENI : Et si on arrêtait de se bercer d’illusions électorales ?(Par Ousmane Boh KABA) est apparu en premier sur Actuguinee.org.